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Congruation
"La congruation est le deuxième cas de figuration, il suppose qu’un aspect représenté repose sur une proception commune au représentant et coïncide de surcroît avec la conformation du représentant. La congruation est possible uniquement si elle est liée à une simulation en tant qu’elles appartiennent toutes deux à une même entité figurée (est ainsi congruée la circonférence d’un cercle tracé pour représenter une sphère sur une surface)." in Patrice Hamel, "Le texte figurant", revue Formules n°17, Mondes contraints, 2013.
Roy Lichtenstein, Little Big Painting, huile et magna sur toile, 172.7 cm × 203.2 cm, 1965. Whitney Museum of American Art, New York City.
Représenter la peinture avec de la peinture conduit à faire coïncider des aspects appartenant aussi bien à la réalité concrète du tableau qu'à la figuration simultanée. La matière choisie, la couleur blanche, la surface plane du coup de pinceau figuré sont congruées parce qu'elles sont communes aux représentants et aux aspects représentés mis en confrontation.
La congruation n'est possible que si elle fait partie d'un objet qui est constitué par ailleurs de simulations (qui participent à constituer une figuration), par exemple celle de la taille censée être restreinte des coups de pinceaux représentés qui est contredite par celle énorme des surfaces utilisées pour en tracer les images (et dont le titre du tableau souligne opportunément la double entente).
Sont non moins simulées (par des traits noirs) les superpositions de couches de peinture avec leurs épaisseurs et leurs traces de pinceau. L'ensemble est en effet réalisé au pochoir, d'une seule couche, plate et uniforme qui s'oppose à la représentation d'un geste expressionniste. C'est bien d'une figuration d'emprégnation qu'il est question ici.Richard Paul Lohse, Drei horizontale Teilungen, sérigraphie en 6 couleurs sur papier, 1984. La congruation peut s'effectuer hors-champ dans certains cas particuliers.
Une règle peut être repérée ici qui porte sur l'association arbitraire, de surcroît sytématique, entre certaines couleurs montrées dans un ordre stable et l'évolution en taille des rectangles dont elles font partie. Jaune, bleu clair et mauve diminuent d'un tiers à chaque fois qu'ils descendent d'un rang et se décalent de deux crans colorés à gauche pendant que les autres augmentent d'autant.
Il serait possible d''imaginer une occurrence picturale dont les rapports entre surfaces délimitées et chromatisme seraient toujours réglés comme précédemment. On pourrait alors en déduire une quatrième rangée en bas de l'ensemble qui montrerait les trois couleurs restantes dans un carré respectif (de gauche à droite : vert, bleu foncé et orange) les autres couleurs ayant perdu leur dernier tiers. Nous serions en mesure de mettre en œuvre d'une part une insinuation virtuelle de trois formes carrées de couleurs verte, bleu foncé et orange, d'autres part une figuration virtuelle de figures réduites à leur plus simple expression, qui peut être plus précisément décrite comme une congruation effective d'absence de bleu clair, de mauve et de jaune.
Manuel, Manuel 1-2-3, album, éditions L'association, 2008.Il existe d'autres moyens de construire des congruations qu'en choisissant des objets déjà plans par nature. Il est en effet possibe de créer de toutes pièces un monde fictif épousant les caractéristiques spatiales du support de sa représentation.
L'univers de cette bande dessinée se déroule en 2D, dans la continuité du Flatland de Edwin Abbott Abboot mais à une différence près : les personnages évoluent debout en longeant une surface, celle de la page où ils sont représentés (et non sur un sol horizontal), qui leur permet parfois de s'occulter ou les obligent à monter l'un sur l'autre, selon les circonstances.
Le comportement des protagonistes est en phase avec leur aspect aplati. Cela montre que la proception mise à contribution est effective et rend compte de leur état congrué. Il n'est pas nécessaire de compléter des informations qui seraient ailleurs manquantes, tout est ici représenté.
Le plus troublant se trouve sans doute dans le traitement des frontières entre les cases, réduites à chaque fois à un seul trait, dessiné de la même façon que ceux servant à représenter les objets et les protagonistes. Une fois repéré cette particularité, nous pouvons identifier le nombre de séparations à l'œuvre, établissant une unique case dans le strip supérieur, puis deux en dessous, puis trois avec une case deux fois plus grande que les deux suivantes, puis enfin trois de tailles identiques.
Andrea del Castagno, Cène, réfertoire de Sant'Apollonia (Florence), peinture à fresque, datée de 1445-1450.
La nappe est représentée frontalement de manière à épouser le plan du mur et sans que l'on puisse voir l'épaisseur de l'autel sur lequel elle est posée. Le point de fuite de la perspective se trouve en effet juste sur la ligne supérieure de la table. Le rectangle de sa surface est donc fortement congrué, et seulement interrompu dans sa continuité par le personnage de Judas.