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Congruation complétive
Il s'établit une congruation virtuelle lorsqu'un représentant coïncide effectivement avec un représenté mais sans que nous puissions avoir accès sensoriellement à cette coïncidence.
Andrea Mantegna, Camera degli Sposi, fresque, 1474. Palazzo Ducale, Mantoue.
Dans cette chambre entièrement recouverte de fresques, plafond compris, deux murs entiers ont été consacrés aux tentures suspendues entre les piliers du pavillon qui est représenté, dont le volume épouse celui de la chambre.
Malheureusement ces tentures ont été fortement endommagées. Les matériaux, mêlés à la peinture, utilisés par Mantegna pour se rapprocher des textures représentées, n'ont en effet pas résisté au temps.
On peut cependant deviner que ces tentures sont parfaitement tendues de manière à donner l'impression d'occulter le paysage alentour.Les surfaces de ces tentures représentées coïncident avec celles des murs qui leur servent de support. S'établit donc une congruation effective de plans appartenant à des objets figurés. Or l'épaisseur de ces tentures n'est pas montrée et coïncide avec celle de l'enduit, participant à la réalisation de la fresque, non accessible à la vue.
L'épaisseur de ces tentures relève donc de la congruation complétive puisqu'elle appartient à la figuration et ne peut qu'être imaginée (en étant équivalente à l'épaisseur réelle mais non appréhendable de son support conformé).
Mais sur un autre mur, l'une des tentures est en partie soulevée en-deça de la fresque proprement dite. En actualisant ainsi son épaisseur, elle introduit un espace qui n'existait pas et par conséquent des simulations de toutes natures inversant le rapport de force installé par ailleurs avec la congruation. Une autre tenture est d'ailleurs pliée sur elle-même et enroulée autour d'un pilier.Grâce à cet espace créé devant les tentures, des personnages peuvent se déplacer jusqu'à prendre place fictivement sur le dessus de la cheminée réellement en volume.
Mais les marches qui leur permettent d'accéder à cet endroit posent problème. Car la surface du petit mur dont elles structurent le sommet et qui se présente face à nous, n'est pas sans contradiction. Tout en restant plane et frontale, elle appartient sur la gauche à l'espace qui conduit à la cheminée et coïncide à droite avec le plan de la fresque. En effet la surface de ce mur représenté finit dans l'angle du pilier qui soutient la tringle sur laquelle est suspendue la tenture soulevée.
Une sorte de paradoxe visuel (qu'Escher vulgarisera plus tard), conçu avec une rare subtilité. Mantegna fait confiance à l'observateur.