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C O R R E S P O N D A N C E S
Méta Opéra au sein d'un spectacle musical (85') en deux parties
(la première de théâtre musical par Ligeti).
Par Marc-André Dalbavie, Patrice Hamel et Guy Lelong.Ce méta opéra fut représenté les mercredi 24 septembre et jeudi 25 septembre 1997 à La Filature de Mulhouse (Festival Musica). Production : attentat ; coproduction : La Filature - Ars Nova-ensemble ; la partition complète de Correspondances est publiée aux éditions Billaudot. Ci-dessus : un passage de quatre minutes, transcrit en images de synthèse, a été réalisé par Philippe Bloesh avec l’aide du DICREAM.
Ci-dessus : extraits de la générale de Correspondances.
Le 23 septembre 1997 à La Filature de Mulhouse (pendant la Générale).
Correspondances a été créé les 24 et 25 septembre 1997 à la Filature de Mulhouse,
dans le cadre du festival Musica, avec :
Soprano : Marie-Françoise Lefort ; alto : Mireille Deguy ; baryton : Pascal Sausy ; Ensemble instrumental : Ars Nova ; direction : Philippe Nahon ; Synchronisation musique-lumière : Xavier Bordelais ; informatique et diffusion : Thierry Coduys ; costume : Dominique Fabrègue ; régie lumière : Jérôme Sabre ; régie scène : Jean-Louis Dapoigny ; enregistrement sons concrets : Georges-Alain Duriot / studio Saint-Amand (Belvès).C O R R E S P O N D A N C E S (1995-1997) méta opéra, 50' (créé en 1997)
Commande d'Etat, attentat, La Filature
Musique : Marc-André Dalbavie
Livret : Guy Lelong
Mise en scène, scénographie et lumière : Patrice Hamel
Pour trois chanteurs, huit instrumentistes et électronique
Production attentat - Coproduction La Filature - Ars Nova-ensemble instrumental
co-réalisation Musica avec le soutien du Fonds de Création Lyrique et de la Spedidam
Formation vocale et instrumentale
- 1 soprano, 1 alto (ou mezzo), 1 baryton qui utilisent parfois des tubes et des porte-voix
- 1 flûtiste, 1 clarinettiste (ajouté pour Correspondances), 1 corniste, 1 violoncelliste, 1 contrebassiste,
- deux pianistes jouant clavecin, piano, celesta et synthétiseur (ajouté pour la musique de Correspondances et le déclenchement en temps réel des éclairages pour l'ensemble du spectacle),
- 1 percussionniste jouant : papier tissu, papier journal, papier d'emballage, papier sulfurisé ou parcheminé, un ballon en plastique gonglé (frotté), un gant de soie, une brosse métallique (pour tambour + cymbale), un bol rempli de billes, papiers d'aluminium, une valise avec deux toiles émeri, gros tapis (avec tapette), une boîte de conserve (frappée avec un marteau), un coffre en bois (frappé avec un maillet), une latte en bois (pour être cassée en deux), une tasse en plastique, un criquet, une grosse bouteille (pour être lancée sur une assiette en métal), un plateau de métal avec une pile d'assiettes, chaussure en cuir, un sac en papier ; une cymbale suspendue, xylophone, glockenspiel, tambour piccolo, 3 toms (aigu, médium aigu, médium), grosse caisse, un guero,- 1 dispositif électro-acoustique de transformation et de sonorisation des chanteurs (ajouté pour Correspondances).***
POUR UNE NOUVELLE ARTICULATION MUSIQUE / TEXTE / GESTES / LUMIÈRE (article de GUY LELONG)
sur Correspondances, méta opéra pour trois chanteurs, ensemble instrumental et électronique
(musique Marc-André Dalbavie, scénographie, gestes et éclairages, Patrice Hamel, texte Guy Lelong)
Pour articuler les différents domaines qu’il met en jeu sur la base de leurs propriétés communes, le méta opéra Correspondances (1997), élaboré dès sa conception en collaboration avec le compositeur Marc-André Dalbavie pour la musique, le plasticien metteur en scène Patrice Hamel pour la scénographie, les gestes et les éclairages, et moi-même pour le texte, tend au principe de l’articulation des champs. C’est l’usage de l’informatique qui rend possible cette articulation en contrôlant les relations entre tous ces éléments. Conçu pour être joué après les Aventures et Nouvelles Aventures (1962-1965) du compositeur hongrois György Ligeti (1923-2006), Correspondances commence à la façon de cette œuvre du théâtre musical des années 1960 – dont il reprend l’effectif vocal et instrumental (une soprano, une alto, un baryton et sept instrumentistes auxquels sont ajoutés une clarinette, un synthétiseur et un dispositif de sonorisation) – pour ensuite se diriger vers de tout autres principes. Ces Aventures et Nouvelles Aventures ont pour particularité de reposer, non sur un texte, mais sur des sons phonétiques, agencés en fonction des affects qui leur sont associés et des liens possibles avec les sons des instruments. Le sens du texte est donc évacué au profit d’aventures « émotionnelles » semblant provenir de la musique elle-même. Si le caractère théâtral et humoristique de l’œuvre provient principalement du langage phonétique utilisé par les chanteurs, il est également dû à la façon dont le percussionniste détourne musicalement une multitude d’objets usuels. Car ces objets, choisis pour leurs sonorités et dont les interventions sont rigoureusement notées sur partition, accréditent parallèlement l’idée, en raison de leur charge sémantique, d’un drame qui excède la seule musique. Malgré leur absence de toute parole explicite, les Aventures et Nouvelles Aventures parviennent à faire assister à une altercation imaginaire entre trois personnages dont celui représenté par l’alto semble être la principale victime. Cette situation explique les réactions, moqueuses ou angoissées, étonnées ou hystériques, auxquelles les protagonistes se livrent tour à tour. Commençant donc à la façon de ces Aventures, Correspondances laisse progressivement la place à de tout autres relations grâce auxquelles la musique, le texte, les éclairages et les gestes vont prendre leur autonomie tout en s’articulant. Au cours de cette évolution, dont l’élaboration formelle a été conçue par Patrice Hamel, les domaines artistiques changent graduellement de statut en passant d’une abstraction à une figuration. Le texte, d’abord réduit à un état purement phonétique, se transforme peu à peu en une fiction théâtrale et fait ainsi assister aux émergences successives du sens, du récit, des personnages, les chanteurs adoptant presque exclusivement le parlé. Les gestes et les éclairages, qui interviennent d’abord de façon purement plastique et rythmique, se chargent progressivement de sens, en devenant, pour les premiers, des attitudes théâtrales, et, pour les seconds, les éléments d’un décor évolutif. Quant à la musique, si son statut est d’abord celui d’une œuvre de concert, elle se transforme finalement en un montage d’« objets trouvés », constitués, d’une part, de rappels des Aventures de Ligeti, et, d’autre part, des fragments de sons concrets chargés de faire entendre les événements sonores de la fiction. Autrement dit, si les relations construites entre les domaines artistiques mis en jeu – musique, texte, gestes et éclairages – apparaissent d’abord réglées par le rythme (diachronisme, désynchronisme, circulation d’un même motif rythmique entre ces quatre domaines, synchronisme) qui, ainsi que le savait déjà Orson Welles, est leur principal fédérateur, elles tendent de plus en plus à devenir d’ordre fictionnel, la musique, le texte, les gestes et les éclairages en venant alors à s’« illustrer » ou au contraire à s’opposer les uns les autres. Pour que ce morphing articulatoire soit possible, les quatre domaines sont tous précisément notés sur partition. La façon dont les éclairages actualisent cette évolution nécessite de décrire le dispositif scénique et lumineux conçu par Patrice Hamel. La partie droite de la scène étant réservée aux instrumentistes, les chanteurs se tiennent du côté gauche, debout sur de petits podiums que surplombent des colonnes suspendues. Ces volumes, de section carrée, sont orientés à quarante-cinq degrés par rapport à la scène, de façon à faire voir sous un même angle les deux surfaces verticales, éclairables de l’intérieur, que chacun d’eux comporte. Les parties hautes des socles et les sous-faces des colonnes peuvent également s’allumer et diffusent alors leur lumière sur les chanteurs qui peuvent en outre être éclairés, de face, de côté ou à contre-jour, par toute une batterie de projecteurs. Placés à une hauteur intermédiaire des socles et des colonnes, trois écrans carrés sont accrochés en fond de scène, à gauche de chacun des trois chanteurs. Ces écrans sont éclairés par des projecteurs qui les divisent chacun en trois bandes verticales et trois bandes horizontales, combinables entre elles. Et comme ces bandes sont éclairées en bleu, en jaune ou en rouge, leurs combinaisons produisent la gamme des couleurs complémentaires. Quand plusieurs bandes verticales ou horizontales d’une même couleur s’allument rapidement les unes à la suite des autres, en des endroits distincts de ces écrans, elles donnent l’impression, conformément au principe du mouvement apparent, de se déplacer, de bas en haut, de gauche à droite, ou dans le sens inverse, selon des rythmes variables éventuellement liés à ceux que la musique fait parallèlement entendre. Enfin, des projecteurs, disposés dans les cintres, dessinent sur le sol d’autres figures géométriques, répondant à celles projetées sur les écrans, et arrangeant des trajets entre chacun des socles où se tiennent les trois chanteurs. Les mouvements de ces éclairages interviennent donc d’abord de façon « purement » rythmique pour valoir ensuite comme les éléments stylisés d’un décor évolutif, dont le sens est précisé par les interventions successives du texte.
La première partie permet de faire la transition avec la fin des Nouvelles Aventures. La situation générale est celle d’un concert scénographié. Debout sur les trois podiums qui leur servent de socles, les trois chanteurs suivent leur rôle sur des partitions que supportent les pupitres placés devant eux. La musique a donc un rôle prioritaire et les éclairages, comme les gestes, n’interviennent d’abord que lorsqu’elle s’interrompt – et d’ailleurs à seule fin d’en prolonger le rythme. Les effets rythmiques lumineux ainsi développés sont toutefois déjà suffisamment complexes pour nécessiter la projection des bandes de couleur sur les écrans du fond. Les gestes, comme les éclairages, ne s’autonomisent qu’à la toute fin de cette partie.
La deuxième partie s’apparente encore à un concert scénographié, mais l’ensemble des éléments commencent à glisser vers le théâtre, les pupitres ayant d’ailleurs été remontés dans les cintres. Ainsi, les deux chanteuses, se constituent en personnages, alors que le baryton reste narrateur. De même, les gestes et les éclairages, jusque-là utilisés de façon « purement » plastiques, commencent à prendre des significations liées au déroulement du texte.
Certains passages de la musique, enfin, évoquent quelques-uns des événements sonores qui interviennent dans la fiction et, notamment, des bruits de pas. Bien que l’alto soupçonne la soprano et le baryton d’être à l’origine de la machination dont elle croit avoir été victime (elle se croit suivie et épiée jusque chez elle), les trois personnages cherchent à renouer le dialogue. ( Ce passage figure dans l’extrait qui a été réalisé en images de synthèse )
D’un point de vue formel, les quatre domaines en présence (musique, texte, gestes et éclairages) sont désormais autonomes et évoluent rythmiquement les uns par rapport aux autres ; d’abord tous indépendants (diachronisme), ils finissent par être tous synchrones et passent pour cela par différents stades intermédiaires (désynchronisme). Mais bien que les rythmes affectés aux différents domaines soient d’abord hétérogènes entre eux, des similitudes rythmiques commencent à s’établir entre les différentes voix de chacun de ces domaines. Ces similitudes relèvent du principe musical du canon, ce qui signifie que tout motif rythmique, affecté à telle voix de la musique, du texte, des gestes ou des éclairages, est repris, avec un léger décalage temporel, par une autre voix du même domaine. Ces similitudes rythmiques, ou effets d’écho, ainsi organisées entre les différentes voix de chacun des domaines, vont progressivement s’étendre à l’interaction des différents domaines eux-mêmes, au point de se développer en un long contrepoint dont les différentes voix, alors progressivement évidées par des silences de plus en plus longs, cessent en outre de se superposer pour simplement alterner les unes avec les autres, si bien qu’à la fin de la section une unique et brève figure rythmique circule successivement entre le texte parlé, la musique, les gestes et les éclairages. Puis les rythmes des différents domaines se synchronisent graduellement les uns avec les autres : d’abord, la musique et le texte, suivis par les éclairages et les gestes. À la fin de cette section, les répliques distinctes distribuées aux trois chanteurs sont donc dites exactement en même temps et l’effet produit est celui d’un brouhaha, qui se résout quand les trois chanteurs répètent, toujours en parlant, la formule « emprunter les correspondances ». Les « correspondances » rythmiques de départ ayant mué en la « correspondance » d’un métro, des projections d’éclairages au sol évoquent, grâce au principe du mouvement apparent, le défilement des traverses des rails du métro, tandis que la musique intègre, grâce à l’usage de l’électronique, les sonorités d’une rame de métro arrivant à quai avec le bruit des portes qui s’ouvrent. Quant à l’histoire de machination dont l’héroïne se croit victime, elle va finir par la raconter explicitement, quoique diffractée selon trois personnes grammaticales respectivement affectés aux trois chanteurs qui adoptent toujours le seul parlé. Un soir qu’elle rentrait chez elle et qu’elle empruntait la correspondance d’un métro, elle éprouve soudain l’impression d’être poursuivie, bien qu’elle n’aperçoive rien de particulier quand elle se retourne. Elle presse alors le pas et l’allure du poursuivant présumé augmente également. Suit une scène d’altercation — imaginaire ou réelle — à laquelle l’héroïne parvient à réchapper. Cette explicitation de la fiction marque le début de la troisième partie qui s’apparente de plus en plus au théâtre, si bien qu’à la fin les chanteurs quittent leurs podiums. Les éléments du décor et les éclairages correspondent de plus en plus aux différents lieux rencontrés au cours de la fiction. Ainsi l’allumage des sous-faces des colonnes suspendues représente-t-il le plafond bas du couloir de la correspondance que l’héroïne suit à ce moment, et des projections sur les écrans du fond simulent-ils, grâce de nouveau au principe du mouvement apparent, le défilement d’un escalier mécanique qu’elle va ensuite emprunter. D’un point de vue formel, la musique, le texte, les gestes et les éclairages restent autonomes les uns par rapport aux autres. Mais leurs superpositions varient en nombre, de 1 à 4, et généralement des vitesses différentes, qui peuvent s’échanger entre elles, leur sont affectées. Ayant réchappé à la scène d’altercation supposée, avec laquelle se termine la séquence précédente du métro, mais s’étant précipitée vers la sortie au lieu d’emprunter la ligne de métro qui lui aurait permis de rejoindre son domicile, l’héroïne, toujours diffractée selon trois personnes grammaticales, se retrouve dans un quartier qui lui est inconnu. Censées représenter les immeubles de ce quartier, les faces verticales des socles et des colonnes suspendues sont alors allumées pour la première fois. Les objets divers, qui jonchent le sol, lui font progressivement comprendre que le lieu vient d’être le théâtre d’événements inhabituels qui ont contraint les habitants à fuir précipitamment. Ces objets correspondent évidemment à ceux utilisés comme instruments de percussion, mais leur réapparition, qui entraîne des citations des passages des Aventures et Nouvelles Aventures où ils sont employés, est réordonnée selon la construction dramatique du récit. L’introduction de ces objets sonores permet de faire la transition avec la séquence d’après. L’augmentation des éclairages et l’intensité également croissante de la musique, qui intègre de réels bruits de moteurs et de sirènes grâce de nouveau à l’usage de l’électronique, s’amplifient en effet jusqu’à un maximum conduisant l’héroïne à emprunter au hasard l’une des rues et à y apercevoir une porte entrouverte vers laquelle elle se précipite et qu’elle referme violemment derrière elle. Le son enregistré de cette porte violemment claquée permet de faire le noir sur la scène, correspondant à celui où s’est réfugiée l’héroïne, toujours diffractée selon trois personnes grammaticales. Puis cette porte résonne longuement dans un espace dont l’obscurité est bientôt levée par le jour qui commence à filtrer par trois fenêtres que figurent les écrans du fond. Plusieurs fois répétée en se modifiant à chaque fois, le jour filtrant à chaque fois davantage par les trois fenêtres du fond, cette résonance enregistrée devient à la longue le son d’instrumentistes en train de s’accorder, que l’héroïne de cette histoire discerne peu à peu auprès d’elle. Alors cette histoire de sons et lumières, non seulement désigne jusqu’au bout l’articulation des domaines qu’elle met en œuvre, mais finit même par rejoindre son propre lieu d’accueil que l’univers de la fiction feignait d’avoir, pour un temps, quitté. Et comme ce retour au lieu d’accueil de l’œuvre est aussi un retour au départ de ce spectacle musical qui ne recourait pas à la fiction, Correspondances se termine donc – histoire de boucler la boucle – en citant les premières mesures d’Aventures.