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Simulation
"Il est bon de rappeler que les proceptions, concernent les sensations effectives telles qu’elles sont restituées au sujet en tant que traces laissées sur ses différents capteurs (situés sur la peau, la langue, les parois nasales etc.) et discriminant les sens qu’il possède ; pour la vue, il s’agit des traces oculaires telles que nous pouvons les aborder empiriquement, c’est-à-dire ce qui en tient lieu pour notre attention consciente. Je limite pour ma part le concept de figuration aux entités dont chaque aspect représenté est établi sur un paramètre similaire de son représentant. Elle s’effectue dans un premier temps en fonction de l’analogie proceptuelle (c’est-à-dire fondée sur une même proception) que ses éléments sont susceptibles d’entretenir avec les sensations des constituants concrets perçus simultanément, mais elle peut en partie se passer de cette équivalence dans en second temps, comme nous le verrons, et nous pousser à modifier mentalement l’apparence des sensations convoquées... La simulation, condition sine qua non de
la figuration, suppose qu’un aspect d’une entité représentée repose sur une proception commune au représentant (par exemple, une ellipse pour le contour d’un cercle en perspective), mais distincte de la conformation simultanée, c’est-à-dire de l’ensemble des sensations portant sur les aspects concrets du médium responsable (lorsqu’une ellipse est peinte sur un plan, elle s’oppose à l’orientation du cercle représenté dans l’espace)." in Patrice Hamel, "Le texte figurant", revue Formules n°17, Mondes contraints, 2013.
Robert Mangold, Circle In and Out of a Polygon 2, peinture acrylique et mine de plomb sur toile, 1973.
Nous pouvons regarder ce tableau selon plusieurs modalités d'appréhension.Soit nous voyons juste des traits conformés sur une toile conformée, c'est-à-dire une figure hybride (à la fois semi-circulaire et semi-hexagonale) dessinée sur une toile dont les contours partagent cette singularité. Dans ce cas, il n'existe aucune représentation. A moins que nous décidions que les lignes noires sont le pourtour d'une surface asymétrique se superposant au support d'une toile irrégulière.
Soit nous voyons les traits prolonger et compléter les demi-figures du contour de la toile. Le dessin simule alors à chaque fois le bord d'un volume : les lignes droites simulent la continuité des bords rectilignes du tableau et la ligne courbe simule la continuité du bord semi-circulaire de la toile.
Soit nous considérons que les bords du tableau simulent des lignes dessinées. Il est fréquent qu'une ligne soit convoquée pour simuler un contour mais la réciproque est rare. La structure en chiasme incite ici à effectuer ce tour de passe-passe.
Le Bernin (Gian Lorenzo Bernini), L'enlèvement de Proserpine (détail), sculpture en marbre, 1622. Galerie Borghèse, Rome.
L'aspect tendre de la chair dans laquelle s'enfoncent les doigts de Pluton est simulé car le marbre qui permet de le représenter résiste à toute pression de cette sorte. Le Bernin a recherché toute sa vie les éléments les plus susceptibles de contredire le support conformé de la représentation dans ses divers aspects : mouvement, légèreté, fragilité ou mollesse...Apollon et Daphné va sans doute encore plus loin en proposant la simulation d'une métamorphose en action et l'arrêt d'un mouvement en train de se faire.